Le cinéma, ça coûte de l’argent et du temps. Il est donc important de faire parfois le tri dans ce qui sort en salles. Au programme de cette semaine du 28 novembre 2018, un film français qui nous plonge au sein d'une caserne de pompiers, un thriller féministe qui permet de retrouver un visage important du cinéma américain et un blockbuster US qui tente de relancer une figure emblématique.
1- Sauver ou périr de Frédéric Tellier (Drame, 1h56, France) avec Pierre Niney, Anaïs Demoustier, Chloé Stefani, Vincent Rottiers, Sami Bouajila
Pourquoi il faut y aller ?
Parce que Frédéric Tellier (lire son quiz cinéma) a changé de braquet depuis le déjà très prometteur L’Affaire SK1, mais sans jamais perdre de vue ce qui fait l’essence d’un film de cinéma. Dans son Sauver ou périr, il y a tout ce que l’on est en droit d’attendre d’une œuvre cinématographique mémorable : un script solidement charpenté s’articulant sur deux parties bien distinctes (l’avant et l’après tragédie), une recherche documentaliste et esthétique qui rend toute situation au sein de cet univers des pompiers de Paris, criante de vérité, un parfait mélange entre action et émotion, une ligne directrice à laquelle le spectateur peut sans cesse se raccrocher avec des thèmes universels poignants (l'empathie, le sens du sacrifice, le dépassement de soi, la notion d’héroïsme et les valeurs que l’on peut y rattacher au 21ème siècle,…) et une interprétation magistrale emmenée par un des plus beaux et touchants couples que le cinéma français nous ait offert de récente mémoire (Pierre Niney et Anaïs Demoustier méritent un César). Petit miracle d’équilibre qui parvient avec une aisance confondante à passer d’une stupéfiante étude de mœurs à un bouleversant mélo aux enjeux universels, Sauver ou périr est une des œuvres majeures du cinéma français en cette année 2018.
Pourquoi il ne faut pas y aller ?
À part une allergie au cinéma français, un désir d’éviter tout film qui se rapproche aussi près de la vérité tout en n’étant jamais un documentaire, on ne voit pas ce qui peut vous empêcher d’y aller. Ah si, pour tous ceux qui pensaient se retrouver face à un spectacle pyrotechnique dans la lignée d’un Backdraft. Mais pour ça, le trailer annonce parfaitement la couleur.
2- Les Veuves de Steve McQueen (Thriller, 2h09, USA) avec Viola Davis, Michelle Rodriguez, Elizabeth Debicki, Cynthia Erivo, Colin Farrell, Liam Neeson
Pourquoi il faut y aller ?
Parce que cinq ans, cela fait bien trop long pour voir le nouveau film de Steve McQueen qui en était jusqu’ici à trois films remarquables réussis sur trois tentatives. Et jamais trois sans quatre pourrait-on inventer comme nouvelle expression puisque Les Veuves est une nouvelle démonstration du savoir-faire d’un cinéaste décidemment à l’aise dans tous les domaines sans pour autant perdre cette fibre politique qui consume son cinéma. Sous ses allures très divertissants de thriller qui reprend les codes du film de casse (on est toutefois ici très loin du glamour de la saga Ocean’s eleven version mecs ou filles), Les Veuves n’en oublie jamais d’être un sacré véhicule à messages. Radiographie d’une Amérique qui lutte pour simplement être reconnue à sa juste valeur (ses trois femmes + 1 devant prendre la relève de leurs maris-cambrioleurs tragiquement décédés et faire face à des conséquences qu’elles n’ont pas désirées/provoquées), le film de McQueen parvient à être à la fois un authentique cri de révolte sur la lutte des classes et une très habile illustration sur la nécessité pour la gente féminine de reprendre en main leur destinée. Et son quatuor de femmes de le faire avec une efficacité, une roublardise et une conviction absolument dévastatrices pour les hommes qui les entourent. En résulte un spectacle rondement mené à l’image de ces quelques séquences chocs au visuel impressionnant (on pense à une brève mais fulgurante poursuite en voiture ou encore aux tabassages du nettoyeur incarné par un flippant Daniel Kaluuya). Avec son style toujours aussi étonnant (il y a bien une bonne dizaine de plans absolument étourdissants), ses acteurs admirables (mention spéciale à l’épatante Elizabeth Debicki) et sa direction artistique impressionnante (McQueen rejoint définitivement Michael Mann comme grand cinéaste plasticien de décors urbains), Les Veuves est le grand film américain du moment.
Pourquoi il ne faut pas y aller ?
Après l’Oscar du meilleur film pour 12 years a slave, l’aspect film de casse peut paraître un brin timoré, voire décevant pour un cinéaste qu’on imaginait s’atteler à des projets plus ambitieux. C’est l’aspect divertissement plus commercial qui pourra laisser sur le carreau ceux qui voyaient en McQueen un auteur plus exigeant. Mais là, encore, il suffit de lire entre les lignes pour se rendre compte que l’homme n’a pas changé son fusil d’épaule. Bien qu’incontestablement réussi, son film reste tout de même inférieur en comparaison à ceux de deux autres grands cinéastes contemporains, Michael Mann et James Gray. Sans vouloir révéler quoique ce soit d’une intrigue riche en rebondissements, on peut aussi regretter qu’un des choix du casting ne soit pas forcément des plus judicieux pour garder intact l’intégrité narratif du récit.
3- Robin des bois d’Otto Bathurst (Aventures, 1h56, USA) avec Taron Egerton, Jaimie Foxx, Jamie Dornan
Pourquoi il faut y aller ?
Parce qu’il est toujours important de se rappeler qu’à Hollywood, tout est possible et surtout le grand n’importe quoi. Si on ne compte plus les adaptations de Robin des bois, souvent d’ailleurs réussies (celle avec Errol Flynn reste encore à ce jour un des meilleurs films du monde, le Disney est un des dessins animés les plus réussis du studio, Sean Connery nous a offert un de ses rôles les plus mémorables dans le superbement mélancolique La Rose et la flèche), nul doute que celle de 2018 fera date dans le registre de l’accident industriel. Et pas seulement à cause de son énorme plantage au box-office US le week-end dernier (un petit 14 millions de recettes pour le week-end de Thanksgiving, c'est plus que maigre). Alors pourquoi mettre ça dans la section « il faut y aller » ? Les nanars de compétition à ce niveau de budget (100 millions de dollars !?!!) sont extrêmement rares. Avec l’esprit déviant, on peut donc s’amuser comme un fou devant le spectacle qui accumule les emprunts à tout ce qui a pu marcher par le passé. Un héros cagoulé comme lointain cousin du Altaïr d’Assassin’s creed (reconnaissons au passage qu’il est ici bien plus stimulant que la version proposée par Michael Fassbinder même si cela relève de tout sauf d’un exploit). Une première séquence d’action qui se la joue La Chute du faucon noir, les arcs ayant remplacé les fusils d’assaut des soldats US. Un folklore esthétique qui mélange les époques pour faire moderne à la mode Baz Luhrmann avec en point d’orgue une soirée que l’on penserait sortie d’un mauvais rush de Gatsby le magnifique. Un discours socialiste qui aurait directement envoyé les auteurs du film sur la liste noire de McCarthy à l’époque de la chasse aux sorcières (voir l’interprète de Christian Grey en leader de la révolte du peuple est un délicieux moment prouvant que les directeurs de casting prennent bien de la coke entre deux auditions). On n’oubliera pas un montage entraînement à l’arc que n’aurait pas renié le Rocky Balboa de Rocky IV (dommage Survivor n’est plus là pour faire la BO et forcément, c’est moins rigolo). On passera presque sous silence les acteurs venus prendre un plus ou moins gros chèque : « Bonjour, je m’appelle Jamie Foxx, j’ai eu un Oscar et je sais très bien faire le Morgan Freeman en plus remuant. » « Bonjour, je m’appelle F. Murray Abraham, j’ai eu aussi un Oscar pour avoir tué Mozart et je sais très, mais alors très bien faire le vil méchant. » « Bonjour, je m’appelle Ben Mendelsohn, j’aurai bientôt un Oscar et je suis celui qui fait le mieux le méchant depuis un an à Hollywood, avec une petite ristourne, je vous fais votre Shérif de Nottingham en mode Ready player one ou Le Dernier Jedi, à vous de choisir même si au final c’est la même prestation. » Bref, il y a de quoi bien s’amuser et même presque regretter que le final ouvert n’aboutira jamais à un second film. C’est qu’on y prend goût parfois à ces choses-là.
Pourquoi il ne faut pas y aller ?
Si le cinéma pour vous, c'est d'aller voir des bons films.
Publié le 27/11/2018 par Laurent Pécha